Foires de Champagne

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Foire de Champagne, gravure du XIXe siècle

Les foires de Champagne se tenaient au Moyen Age dans le Comté de Champagne. Leur succès résulte de leur exceptionnelle situation géographique, de la bienveillance des Comtes et de la sécurité particulière dont bénéficiaient les marchands, garantie par les comtes de Champagne eux-mêmes[1]. Elles se tenaient dans les villes de Lagny-sur-Marne (une fois par an), Provins (deux fois par an), Troyes (deux fois par an) et Bar-sur-Aube (une fois par an). Elles succèdent par leur importance aux foires de St Giles (Angleterre) et préfigurent par leur rayonnement économique et financier à travers toute l'Europe, les premiers centres financiers internationaux. Chaque foire durait de trois à six semaines, et ce calendrier changea à plusieurs reprises au fil des siècles. C'est ce que l'historien Fernand Braudel appelle le "système d'horlogerie à répétition", qui assure au Comté une activité économique exceptionnelle de janvier à décembre[2]. A ce titre, elles constituent une étape de référence dans l'histoire économique mondiale, et témoignent plus particulièrement des débuts de l'organisation de l'économie moderne de marché.

Une localisation au confluent des grandes routes commerciales du nord et du sud, le souci de l'organisation matérielle (halles, logements, entrepôts) et l'Etat de Droit auquel les comtes de Champagne et des abbayes aux alentours sont attachés, expliquent le succès de ces foires.[3] Elles vont donner naissance, à la fin du XIIe siècle, au cycle des six grandes foires citées ci-dessus, que complètent aux alentours quelques foires de moindre importance.

Thibaut IV de Blois, comte de Champagne, établit des règlements de foire à travers des chartes (charte de 1137, 1164, 1176, etc.) et parvient à faire respecter son sauf-conduit au-delà des frontières de son comté[4]. Unité de poids, le « marc de Troyes » apparaît en 1147 et sera bientôt adopté à Paris. La monnaie des foires, le « denier provinois » circule assez loin pour servir de référence jusqu'en Italie. L'once troy reste encore aujourd'hui la référence de masse mondiale pour les métaux précieux.

Origines et développement

Origine des foires de Champagne

L’origine de ces foires semble remonter à l’époque Mérovingienne, en 427, comme l'attestent les écrits de Sidoine Appolinaire, Evêque de Troyes. Elles sont en tout cas beaucoup plus anciennes que l'établissement de la monarchie française.[5] On attribue le rayonnement des foires de Champagne au comte Henri le Libéral, qui a gouverné la province de 1152 à 1180[1].

Aux Modèle:S2-, alors que s'amorce la révolution commerciale, les routes qui s'étendent jusqu'à Byzance fournissent l'Europe en produits de luxe (épices, tissus, produits artisanaux) qui s'échangent en particulier dans les foires qui se sont multipliées en Europe, dans des grandes villes mais aussi dans des régions qui fédèrent plusieurs villes comme Troyes, Lagny ou Bar-sur-Aube, en Champagne. A partir du XIIe siècle, les foires de Champagne deviennent un centre d'échange et de commerce mondialement connu permettant d'attirer les plus importants marchands d'Europe des Flandres à l'Italie.

Si les pondéreux (sel des côtes atlantiques, vin et céréales) faisaient déjà l’objet d’un commerce par voie fluviale ou accessoirement maritime, seules des marchandises rares où à haute valeur ajoutée et de faible poids, comme les draps et les épices, étaient acheminées sur de longues distances par voie terrestre[6].

Organisation des foires

Les organisateurs des foires de Champagne mirent en place une administration spéciale dès 1170, dirigées par deux maîtres (ou gardes) et un chancelier, tenant sous leurs ordres des lieutenants, des sergents, des notaires, qui maintenaient l'ordre et la justice dans les foires. Des loges, où on apportait des bancs, qu'on éclairait le soir, servaient à recevoir les magistrats et les plaideurs[1]. L'abbaye de Clairvaux située à proximité jouissait également d'un grand prestige, à la fois comme centre religieux de la chrétienté et aussi pour ses bons offices dans la résolution de différends entre marchands.

Dès 1147, le garde des foires veille au respect des bons usages commerciaux en s'appuyant sur la loi. Il est garant pour le Comte du cadre juridique permettant de protéger efficacement et rapidement les participants. Ils avaient notamment pour mission de s'assurer que les sommes dues étaient acquittées, que les poids et mesures étaient corrects et que les individus malhonnêtes étaient exclus des foires - qui ne manquaient pas d'attirer aussi les escrocs. Au XIIIe siècle, les gardes tiennent même le rôle de notaires, donnant la sanction d'autorité comtale aux actes de droit privé relatifs aux transactions et aux créances. Dans la seconde moitié du siècle, ils se dotent eux-mêmes de notaires et de procureurs pour faire face à l'accroissement du volume des affaires, charge d'autant plus lourde que le même personnel va de foire en foire.

Le conduit royal de 1209

Le « conduit » royal accordé par le Roi de France Philippe Auguste en 1209[7] élargit encore le rayonnement de ces foires de Champagne. Celles-ci forment désormais un ensemble cohérent, qui attire les marchands Italiens et Flamands. Le conduit royal leur assure que tout tort qui leur serait causé serait tenu pour lèse-majesté et donc passible de mort et de confiscation par la justice royale.

De manière générale, le conduit de foire est un sauf-conduit délivré par le seigneur de la foire ou par les seigneurs ou les villes qui se trouvent sur le chemin des marchands. Ils fournissent une protection pour garantir la traversée de leur territoire.

Chaque sauf-conduit est payant, et est utilisable comme une police d'assurance sur les biens et les personnes. En échange, le seigneur s’engage à indemniser le marchand si les marchandises sont endommagées en traversant sa seigneurie. Le seigneur ne garantissait pas les dommages causés par les événements nocturnes ou les cas de guerre.

Organisation des foires

Un cycle continu

Scène de foire in Le Chevalier errant de Thomas III de Saluces.

Une foire peut se définir comme une réunion de marchands qui se rencontrent volontairement dans un lieu fixe, à des intervalles périodiques, pour vendre et acheter. Ces foires peuvent être ouvertes à tous ou réservées aux professionnels. Au XIIe siècle, des foires annuelles se tenaient dans une douzaine de villes de Champagne. Quatre d’entre elles organisent alors un cycle permanent de six foires réparties sur l’année, dont l’accès est garanti par le conduit du comte de Champagne.

Le génie des foires de Champagne est de former ainsi un cycle équilibré et continu tout au long de l'année de « foires chaudes » (en été) et « froides » (en hiver) ainsi que de foires principales et secondaires qui procure aux marchands une place d'échange presque permanente permettant non seulement d'échanger des marchandises mais aussi de régler ses affaires financières.

  • 2 au 15 janvier : foire « des Innocents » de Lagny-sur-Marne ;
  • mardi avant la mi-carême au dimanche de la Passion : foire de Bar-sur-Aube ;
  • semaine de la Passion : foire de Sézanne ;
  • mai : foire chaude de « Saint-Quiriace » de Provins ;
  • 24 juin à la mi-juillet : foire « chaude » ou de la Saint-Jean à Troyes ;
  • septembre / octobre : foire froide de « Saint-Ayoul » à Provins ;
  • début novembre à la semaine avant Noël : foire « froide » ou de la « Saint-Remi » à Troyes.

L'Eglise est fortement représentée dans l'organisation de ces foires dans une société où la vie séculière est rythmée par le calendrier religieux. Les grandes fêtes et les pèlerinages coincident souvent avec des foires et une fréquentation importante.

Chaque foire dure en moyenne 3 à 7 semaines :

  • la première partie consacrée à la « montre » (exposition des marchandises) ;
  • la deuxième partie consacrée à la vente ;
  • la troisième partie consacrée au règlement ;
  • La dernière partie à la « sortie de foire » (festivités).

Un calendrier très précis a été établi, chaque foire comporte 8 jours d'entrée en franchise, 10 jours de vente du drap et 15 jours de paiement. Environ une semaine avant la véritable fin de la foire, la vente s'arrête pour permettre aux marchands de régler leurs affaires et solder les comptes.

Le cycle des grandes foires de Champagne a créé les conditions favorables d'un commerce international s'étendant sur toute l’année, et parallèlement a favorisé le report des dettes d’une foire à l’autre, par l'intermédiaire des changeurs souvent d'origine italienne ou des Flandres. Ce système de transfert des créances de foire en foire et l'habitude de régler les dettes par compensation, a entraîné l'émergence d'un secteur financier organisé au sein duquel la communauté juive et florentine ("Lombards") ont très vite joué un rôle essentiel. L'interdiction de la dette portant intérêt, qualifiée d'usure par l'Eglise Catholique (et les principales religions monothéistes), constituera un facteur à la fois limitant (risque pour un prêteur d'être qualifié d'usurier par les tribunaux ecclésiastiques) et stimulant à travers la recherche de nouvelles solutions de rémunération du risque.

Garanties des comtes et incitations économiques

Conscient de leur importance pour le développement de l'économie locale, les comtes de Champagne avaient soutenu dès le début le développement des foires dans leur province en particulier celles des communes de Troyes, Lagny,  Bar-sur-Aube et Provins. Les comtes, qui avaient le droit d'organiser les foires, privilégiaient les villes au Sud. Ainsi, entre 1095 et  1136, les foires des villes de Provins, Troyes, ont été privilégiées au détriment des villes du Nord et de l'Est jugées moins favorables. Les comtes de Champagne qui suivirent, Thibaud II (†1152) et Henri  I († 1181), ont poursuivi cette politique de concentration du commerce sur les quatre principales villes de foires de Champagne[8]. Les comtes, vassaux des rois de France[9], jouissait alors d'une quasi-indépendance vis-à-vis du reste du royaume.

Les comtes de Champagne comprirent que les marchands étrangers devaient trouver en Champagne un espace marchand attractif, unique en Europe, à la fois international et sûr. En comparaison, les autres places économiques européennes offraient un accès moins pratique, des taxes et des péages qui faisait de la Champagne une zone à faible fiscalité propice au développement du commerce. La création du "denier provinois" soutenue par Thibaud comte de Champagne, devenue la monnaie de référence des foires permettait aux marchands de s'entendre et aux changeurs de monnaie de trouver une solide référence à une époque de grande fragmentation et d'instabilité monétaire.

En arrière plan, une politique de mariage habile avec les comtes des Flandre à partir de 1143 a également assuré le développement des foires de Champagne en foires commerciales "internationales". La présence constante de marchands flamands dans les foires et donc de draps venant de Flandre leurs assurait d'emblée une dimension internationale. Le fils de Thibaud, Henri I, qui avait des relations avec Frédéric 1er de Hohenstaufen, dit Frédéric Barberousse, réussit quand à lui à attirer les grands marchands allemands en Champagne. Les foires constituaient pour les comtes et le royaume, en échange de la protection des marchands et de ses garanties, une source de revenus générée grâce aux droits levés sur les marchandises et aux péages ("droits de travers", "droits de tonlieu", "droit de hallage", etc.)[8].

Soucieux de la logistique permettant l'accès et le bon déroulement des foires, les comtes ont construit des ouvrages d'art, mis en place des moyens de pesée et de stockage des biens, facilité l'hébergement et le soin des marchands, assuré la sécurité des routes, et donné aux voyageurs la garantie de pouvoir obtenir justice à travers des instances séculières et religieuses à leur convenance. C’est ainsi qu'autour d'axes de communication très anciens, la modernisation des voies terrestres et navigables fut entreprise pour faciliter les échanges. Provins par exemple est alors un carrefour de routes, où convergent 9 chemins principaux et 11 voies secondaires. Thibaud II alla jusqu'à créer des canaux sur la Seine pour apporter dans les quartiers de Troyes une eau nécessaire aux industries textiles.

Le succès des foires de Champagne n’est pas seulement dû à leur situation géographique (au nœud de grands axes et de courants commerciaux venant d’Italie et des Pays-Bas), ou à la spécialisation de la région dans le textile. Le succès de ces foires est surtout dû aux volontés éclairées des comtes, qui en déterminant le cycle perpétuel des foires[1] se comportèrent à la fois en politiques et en véritables hommes d'affaires.

Avant bien d'autres, ils comprirent que tout seigneur voulant attirer des marchands à sa foire devait commencer par y assurer la "paix du marché". Les marchands avaient des garanties de la part des comtes (le « droit des foires »), et c’est ce qui explique qu’ils aient privilégié les foires de Champagne, car elles garantissaient un environnement de droit propice à la bonne marche des affaires.

Les villes de foire bénéficiaient de dérogations au droit commun et de privilèges, appelées « franchises » :

  • suppression en faveur des marchands du « droit de représailles » pour les délits commis ou les dettes contractées en dehors de la foire ;
  • suppression du « droit d’aubaine », qui suspendait les actions judiciaires pendant la paix des foires ;
  • suppression de l’interdiction du Pape de l’usure (prêt à intérêt) ;
  • suppression du droit de marque.

Le droit des foires, adossé au droit commun, reconnaissait aux foires une situation privilégiée et la nécessité de rendre justice équitablement et sans tarder. Les comtes de Champagne (mais aussi le Pape pour les marchands Italiens) assuraient aux marchands la sécurité et une justice rapide en cas de litige. Cette garantie a certainement fortement contribué à faire des foires champenoises le principal carrefour commercial de l’Europe occidentale jusqu'à la fin du XIIIe siècle[1].

Avènement, prestige et déclin des foires

Un rayonnement international

Les foires de Champagne, plus que tout autres, ont eu au Moyen Age un immense rayonnement international, permettant aux marchands et aux acheteurs de toute l'Europe de s'y retrouver à intervalles régulier pour y faire commerce[3]. Des marchands de toutes les régions de France s’y retrouvent de même que des marchands de Flandre, d’Italie du Nord, d’Espagne, d'Angleterre, d'Allemagne ou de Suisse[6]. Les foires de Champagne, apporteront une contribution décisive à la "Révolution Commerciale", qui progressivement fera basculer le monde médiéval vers la Renaissance.

Dès la première moitié du XIIe siècle, une spécialisation des échanges entre différents pays européens, est observable : les Flamands vendent toiles et draps, les Italiens des soieries et des épices, les Allemands du cuir et des fourrures. La prospérité des villes de la mer du Nord s'établit grâce aux draps, aux fourrures et aux poissons qu'elles apprennent à conserver. Ce phénomène n'est pas nouveau mais les grands carrefours d'échange que sont les foires viendront renforcer cette spécialisation. Des marchands de toutes les régions de France s’y retrouvent de même que des marchands de Flandre, d’Italie du Nord, d’Espagne, d'Angleterre, d'Allemagne ou de Suisse[6].

Les échanges entre les foires de Flandre et celles de Champagne sont actifs : les flamands trouvent en Champagne un débouché permanent pour leurs draps qui étaient ensuite acheminés par voie d'eau vers le port de Gênes, et achetaient les tissus de soie, des pièces d'orfèvrerie - notamment des objets cultuels, des épices et autres produits de luxe venu des confins de la Méditerranée.

La diversité de l'origine du drap échangé lors de Foires de champagne montre bien cette diversité des approvisionnements. À Provins, les draps venaient d'Anvers (Flandre), de Stamford (Angleterre) et des villes de Champagne ou des provinces des alentours - drap d’Arras, drap de Chalons, et drap gris de Provins. D'autres pièces de textile comme le taffetas, la soie, les toiles y étaient également échangés. Onze jours après la fin de la foire aux draps, un autre cycle de vente commençait, consacré celui-là au commerce de la fourrure et du cuir, et le calendrier des ventes s'égrenait ainsi tout au long de l'année.

Beaucoup des marchandises vendues en gros mesurent et se vendent au poids (avoirs-de-poids)[3], notamment les épices venues d’Orient (Safran, gingembre, poivre), les denrées alimentaires (vin, sel de Guérande, miel, légumes, fruits, viandes), les métaux (argent). On y trouvait aussi des pièces exceptionnelles fabriquées par les meilleurs artisans d'Europe et vendues à l'unité notamment des bijoux, des armes, de la porcelaine fine.

Au XIIIe siècle, l'organisation de ces foires quasi permanente est exceptionnelle tout comme leur rayonnement international, tout est fait pour faciliter les échanges. Par exemple, les drapiers flamands ont dans les foires leurs « tentes » où ils se groupent par villes et exposent leurs tissus. Des « clercs de foires » chevauchent sans arrêt entre la Champagne et la Flandre, pour assurer la correspondance entre les marchands[3] et le transport des missives.

Les foires des Champagne ont bien été un carrefour durant le haut moyen age et un lieu de rendez-vous pour les plus grands marchands d'Europe. Ces foires n'ont pas seulement été un centre d'échange des marchandises, elles ont permis un brassage des cultures et des idées. Les « maisons » et les habitations des marchands étrangers et les désignations de différents quartiers dans les villes de foire des Champagne témoignent bien de ce caractère international, et offrent un témoignage de la vie des marchands étrangers dans les villes de foire[1].

Des « nations »

Les foires en général sont l'un des lieux où les hommes du Moyen Âge prennent conscience de leur identité nationale et de leur solidarité devant un milieu local. Dès le XIIIe siècle, les marchands italiens constituent en Champagne des « nations » gouvernées par les consuls qui sont autant des représentants du gouvernement de la ville d'origine (p. ex. les Siennois dès 1246) que ceux des marchands fréquentant la foire. Ces nations mettent en place des structures d'aide aux affaires et même une juridiction d'arbitrage interne, reconnue par le roi. À partir de 1278, l'ensemble des consuls italiens en Champagne élit un capitaine, tenu par le gouvernement local pour un interlocuteur commode. Des organisations semblables peuvent être observées sur les foires en Languedoc.

Pour les marchands étrangers qui se retrouvaient dans les foires, les contacts sociaux difficiles avec les indigènes et les barrières linguistiques, pouvaient compliquer largement le commerce. Les marchands étrangers essayaient donc généralement de se construire de propres maisons et établissements dans les villes étrangères, pour assurer leur protection, leur repos et un environnement sûr. Dans les foires des Champagne, des marchands étrangers ont aussi procédés de cette façon. Par exemple, à Troyes où il existait une « maison des Allemands, de Barcelone, de Genève, de Valence… Ces maisons étaient entretenues par les marchands étrangers, qui avaient donc leurs propres auberges et refuges[8].

Des noms de quartiers et des loges spéciales prouvent également la présence constante de marchands étrangers ainsi que du besoin de ceux-ci de se regrouper entre eux : À Provins, les « Lombards » avaient leur loge spéciale, et un quartier de la ville était propre aux Allemands (« Vicus Allemannorum »). À Lagny un quartier de la ville propre aux Anglais s’appelait « Vicus Angliae ». Des marchands de Catalogne et de Tolède avaient également leurs loges spéciales dans les foires des Champagne[8].

Les organisations de marchands

Le commerce des marchandises,  qui s’était étendu dans les villes de foire de Champagne, était surveillé et encadré par les autorités locales, mais aussi par différentes organisations et institutions créés par les marchands eux-mêmes, pour leur permettre de se protéger, de mieux représenter les propres intérêts et  de pouvoir contrôler et régler plus efficacement l’offre et la demande. Au XIIIe siècle, à l’apogée des foires de Champagne, il y avait différentes associations de marchands, organisés à des degrés divers[1].

Une des plus importantes organisations de marchands était la « Hanse des dix-sept villes » (ou Hanse de Londres) fondée autour de 1230, et qui se composait au départ des marchands des grandes villes drapantes de Flandre. Des villes de draps de Champagne comme Reims et Châlons-sur-Marne, mais aussi des lieux de production importants en Picardie ont également fait partie de cette association. Cette organisation n’était pas qu’une « Hanse » au sens classique du terme, c'est-à-dire une union de différentes villes : Il y avait le besoin de ne plus se concurrencer et de coordonner en commun le commerce et la vente du drap dans les foires[8].

Au début du XIIIe siècle, une autre association de marchands importante qui a visé une organisation commerciale commune et efficace aussi bien qu'une représentation d'intérêt commune et la protection des commerçants est apparue. Des marchands italiens de la même ville natale se sont unis dans des fédérations communautaires, qui portent le nom d’universitas, dans les foires. Ces universitas étaient organisées comme des villes, avec leur propre autorité, administration, et juridiction. À leur sommet, un consul représentait les membres de la communauté dans les cas de litiges avec le roi de France[1].

Avec les foires, se  sont donc développées la construction d´auberges pour loger les commerçants venus souvent de loin,  les marchands d'un même pays se retrouvant sous la direction et la protection d'un consul. Des  banquiers siennois se sont ainsi retrouvés à Provins à partir de 1230, où ils se sont regroupés dans une organisation de ce type en 1246. Des associations communautaires de ce type existaient toutefois déjà chez des marchands de Bologne, de Milan, de Florence, de Gênes, de Rome ou de Venise[1].

Les commerçants du Languedoc et de Provence qui se retrouvaient régulièrement dans les foires des Champagne, se sont également unis dans les communautés et se sont organisés d’après le mode d’organisation des associations de marchands italiennes[1].

Un lieu d'information économique au XIIIe siècle

Les foires de Champagne jouent dès les années 1250 le rôle d'une place financière et doivent à ce rôle de survivre comme foires de change jusque dans les années 1340, alors même que les transactions commerciales ont en bonne partie disparu[10].

Les foires marquent la renaissance des opérations bancaires, qui avaient disparu avec Rome. Les transactions commerciales des foires s’accompagnaient nécessairement de relations financières, et les derniers jours de foire, les marchands laissaient place aux « changeurs », installés sur un banc (d'où l'origine du mot "banque").

En effet, vers 1250, les foires de Champagne perdent leur caractère de centres internationaux d’échanges de marchandises, et deviennent au lieu de cela des marchés financiers et de capitaux d'une importance internationale[10].

Ainsi, aux foires de Champagne, il n'y avait pas que le trafic de marchandises qui attirait les marchands : les règlements de comptes étaient nombreux, et les foires étaient devenues le "domicile de change de toute l'Europe". Les échanges durables et divers des foires de Champagne, particulièrement le commerce du drap et des textiles, avaient encouragé largement la circulation monétaire sur les foires et avaient contribué à la présence constante des "changeurs" sur les foires. Chaque période de vente a en effet suivi une période de paiement. Les paiements ne s'étendaient pas seulement à l'extinction des dettes contractées à la foire même, mais comprenaient aussi de nombreux paiements à terme d'obligations contractées à des foires précédentes[11].

Les foires de Champagne firent faire un pas décisif au change non manuel : l'exportateur italien aux foires empruntait dans sa ville en monnaie locale pour se procurer les soieries et les épices qu'il allait expédier dans l'une des quatre villes de foires, puis la vente faite (à Provins par exemple), il disposait d'une somme en monnaie provinoise dont il devait opérer le change avant de rembourser le prêteur italien.

Depuis le XIIe siècle, de tels paiements n'ont plus été réglés par de l'argent liquide dans les foires, mais ont été de plus en plus fréquemment traités avec ce que l'on appelle les « lettres de change ». La lettre de change permettait le règlement d’une créance dans une autre place et dans une autre monnaie. Elle combine trois opérations : transfert de fonds (sans transfert d’espèces) ; crédit (« délai d’usance ») ; change (l’intérêt du crédit peut être dissimulé dans le taux de change)[10].

À l'époque, il ne s'agissait encore que de simples promesses écrites de payer une somme dans un autre lieu que celui où la promesse était consignée. Le signataire s'engageait à payer dans une autre place au remattant ou à son "nuntius", c'est-à-dire à son préposé, ou à faire payer par un "nuntius" le représentant.

Les foires étaient donc devenues des places financières, où les Italiens (Lombards) jouaient un rôle essentiel ; ils contribuaient à établir le cours des changes entre les monnaies de tous les pays européens. Les grandes compagnies de Florence, de Sienne ou de Plaisance, entretenaient en Champagne des représentants qui échangeaient avec leurs maisons des messagers auxquels ils confiaient des contrats de change et informations[11].

La fréquentation des foires de Champagne était si importante que les obligations d'une foire était payables dans n'importe quelle autre foire. Ces obligations n'étaient pas que des dettes commerciales, mais aussi de simples emprunts contractés par des particuliers, par des princes ou des établissements religieux[10].

Avec les lettres de change, un commerçant ne pouvait pas seulement se procurer l'avantage de voyager sans argent liquide. On lui permettait aussi par le change de prendre des crédits pour ses affaires et de les payer plus tard, avec des intérêts. Le nombre des opérations de crédit et de change a augmenté depuis le milieu du XIIIe siècle dans les foires de Champagne, de sorte que la circulation monétaire par virement supplantait bientôt de loin l'échange commercial dans les foires. Les foires des Champagne se sont ainsi changées progressivement en centres de transaction financière internationale, ce qui a contribué largement à la modernisation de la circulation monétaire en Europe[11].

La deuxième moitié du XIIIe siècle peut être considérée comme l'apogée des foires de Champagne, avant leur déclin au début du siècle suivant[1].

Déclin des foires de Champagne

Les foires de Champagne rayonnent au XIIIe siècle sur tout l'Occident.

Vers la fin du XIIIe siècle, des raisons politiques et le développement de nouvelles routes mettent fin à la préséance des foires champenoises. De nouvelles voies relient l'Italie du Nord au pays rhénan et les nouvelles routes maritimes, permettant aux Italiens un accès direct au marché flamand, expliquent ce phénomène[3].

L'importance de Paris comme place financière s'accroît, et en Italie se développent des productions textiles. De manière générale, un changement de tendance se manifeste à la fin du siècle, passant du marchand ambulant au marchand sédentaire, les foires perdent alors leur rôle déterminant[1]. En effet, avec les progrès de la sécurité qui ont assuré l’arrivée des expéditions marchandes à bon port, la vie commerciale est devenue moins errante[10].

Les foires de Champagne régressent donc après 1300 devant la concurrence des foires de Paris (puis de celles de Lyon), trop proches pour justifier le maintien par les grandes compagnies italiennes de deux établissements permanents, l'un dans une grande ville et l'autre dans quatre villes moyennes. L'apparition de la concurrence maritime pour les trafics entre la Flandre et l'Italie dès 1291 et l’ouverture de nouvelles routes à travers les Alpes ont ajouté aux causes cette désaffectation. Aussi faut-il ajouter la crise de la fin du Moyen Âge, à la fois économique et démographique.

Une autre explication majeure du déclin des foires de Champagne est la recrudescence des conflits militaires en Europe en général et dans la région en particulier après les années 1280. Ces problèmes de sécurité favorisent les transports maritimes (d'où le développement des galères de commerce vénitiennes ou de la Ligue Hanséatique) qui, bien que plus lent et moins réguliers, deviennent plus sûrs que les routes terrestres.

L'établissement par le Comte Henri d'une plus grande imposition pesant sur les foires est également une cause évoquée[12].

Enfin, par le mariage de Jeanne de Navarre (comtesse et héritière de Champagne) à Philippe IV « Le Bel » en 1284, le comté de Champagne entre dans le domaine royal ; les priorités politiques changent[13].

Notes et références

Modèle:Références

Annexes

Article connexe

Liens externes

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  2. « Vieux Troyes », sur http://vieuxtroyes.free.fr,
  3. 3,0, 3,1, 3,2, 3,3 et 3,4 H. Pirenne, Histoire économique de l’occident médiéval, Paris,
  4. Véronique Terrasse, Provins. Une commune du comté de Champagne et de Brie (1152-1355), Éditions L'Harmattan, , p. 29
  5. (en) Olivier Coispeau, Finance Masters: A Brief History of International Financial Centers in the Last Millennium, World Scientific Publishing UK, (ISBN 9789813108820, lire en ligne)
  6. 6,0, 6,1 et 6,2 Thomas, Heinz, Beiträge zur Geschichte der Champagne-Messen im 14. Jahrhundert, VSWG 64,
  7. Recueils de la Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions, Éditions de la Librairie encyclopédique, 1953 vol. 5, [lire en ligne], p. 117
  8. 8,0, 8,1, 8,2, 8,3 et 8,4 G. Fourquin, Histoire économique et sociale de l’occident médiéval, Paris,
  9. « Histoire de Provins », sur provins.net,
  10. 10,0, 10,1, 10,2, 10,3 et 10,4 Philippe Contamine, L’économie Médiévale, Paris, Armand Colin,
  11. 11,0, 11,1 et 11,2 Lopez R. S., La révolution commerciale dans l’Europe Médiévale, Paris,
  12. Véronique Terrasse, op. cité, p. 72
  13. (en) John H. Munro, « South German silver, European textiles, and Venetian trade with the Levant and Ottoman Empire, c. 1370 to c. 1720 : a non-Mercantilist approach to the balance of payment problem », in Relazione economiche tra Europea e mondo islamico, seccoli XII – XVII, ed. Simonetta Cavaciocchi, Florence, 2006, Le Monnier, p. 905 à 960, [lire en ligne], lire p. 918